En République démocratique du Congo (RDC), la réaction de Kinshasa n'a pas tardé au lendemain de la publication d'un rapport du chef du bureau de l'ONU pour les droits de l'homme. Ce rapport accable la police congolaise, accusée d'exactions lors d'une opération coup de poing pour traquer les délinquants de Kinshasa entre novembre 2013 et février 2014. Selon ce rapport, au moins neuf personnes ont été exécutées par balles et trente-deux personnes sont toujours portées disparues. Pour Kinshasa, c'en est trop. Le ministre congolais de l’Intérieur, Richard Muyej, a demandé jeudi 16 octobre le départ du chef du bureau de l’ONU pour les droits de l’homme en RDC, Scott Campbell.

Ce n’est pas la première fois que le chef du bureau de l’ONU pour les droits de l’homme en RDC s'attire les foudres des autorités congolaises. En avril dernier déjà, lors de la publication d’un autre rapport sur la lutte contre les violences sexuelles en RDC, le chef de la division des droits de l’homme de la Monusco, Scott Campbell, avait été très critiqué dans la presse.

La conclusion selon laquelle une grande partie des violences sexuelles commises dans le pays ne font pas l’objet de poursuites judiciaires, entre autres car les femmes ont trop peur d’être stigmatisées, n’avait pas plu, tout comme le fait que l’armée congolaise, responsable d’une partie de ces violations, soit pointée du doigt. Les autorités avaient estimé alors que le rapport ne mettait pas assez en valeur les progrès réalisés par le Congo dans le domaine.

Coïncidence ou non ? A chaque fois, ces rapports relevaient des exactions commises par les l’armée ou la police. Que ce soit sur la gestion des élections en 2011, des cas de violences sexuelles ou encore lors de cette opération coup de poing contre les délinquants.

Pour rappel, dans son rapport l’ONU affirme que la majorité des victimes d'exécutions sommaires ont été abattues « dans leur quartier, parfois à la sortie de leur domicile » par des agents de la police cagoulés. L'ONU a indiqué également avoir obtenu des informations de sources concordantes sur « l'implication d'un haut gradé de la police de Kinshasa et de plusieurs officiers de police » dans les crimes qu'elle a identifiés, et a demandé aux autorités congolaises de « mener des enquêtes promptes, indépendantes, crédibles et impartiales » et de « traduire en justice tous les auteurs présumés de ces violations, quel que soit leur rang ».

Le rapport de trop

Cette fois, les autorités ont visiblement estimé que c’était le rapport de trop. Selon elles, l’ONU n’a pas suffisamment tenu compte des remarques que le gouvernement a fait sur ce texte avant qu’il ne soit publié. Le terme d'« exécutions » commises par la police, notamment, n’a pas du tout plu jugé partisan. Lors d’une conférence de presse jeudi à Kinshasa, le ministre de l’Intérieur congolais, Richard Muyej, a déclaré Scott Campbell « persona non grata », autrement dit indésirable en RDC, et demandé son départ. Au final, c’est une décision très sévère qu’a prise Kinshasa ce jeudi soir et une décision rare également. Un seul autre employé de la Monusco, avant Scott Campbell, a été déclaré persona non grata. Le ministre de l’Intérieur, Richard Muyej, a ajouté lors de cette conférence de presse qu’une liste d'une trentaine de membres de la police condamnés pour leur comportement dans l'opération Likofi avait été publiée, dont cinq pour meurtre ou homicide involontaire, et deux pour enlèvement ou détention arbitraire.

Dans l’immédiat, la mission des Nations unies n’a pas voulu réagir. Elle dit attendre d’être notifiée officiellement de cette décision.

Beaucoup de réactions

L’organisation de protection des droits de l’homme Human Rights Watch (HRW) s’est, quant à elle, par contre, insurgée. Contactée par RFI, l’ONG trouve « alarmant » qu’un employé expérimenté de l’ONU soit expulsé pour avoir parlé de violations des droits de l’homme. Pour Ida Sawyer, représentante de HRW au Congo, c’est un signal inquiétant pour la liberté d’expression dans le pays. Human Rights Watch a prévu , elle aussi, de publier dans les jours qui viennent un rapport sur les violations constatées lors de l’opération policière Likofi de lutte contre la délinquance.

« Au lieu d’expulser le directeur des droits de l’homme, Scott Campbell, le gouvernement devrait enquêter sur les meurtres et disparitions documentées dans le rapport de la Monusco. Le ministre de l’Intérieur et d’autres fonctionnaires ne doivent pas interférer avec les enquêteurs des droits de l’homme mais doivent les laisser faire leur travail sans entrave », a ajouté Ida Sawyer.

La France a réagi ce vendredi matin. Elle a dit regretter la décision des autorités congolaises qui risque, selon le quai d’Orsay, de porter atteinte à la crédibilité des efforts entrepris pour améliorer la situation des droits de l’homme dans le pays.

Enfin, autre réaction celle du responsable Afrique de l’ONG Acat, contre la torture et la peine de mort : sur son compte tweeter, Clément Boursin a lui estimé que cette décision donnait « une piètre image du gouvernement congolais qui se dit respectueux des droits de l’homme ».

 

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