Bosco Ntaganda

Le transfert de Bosco Ntaganda ne sera pas aisé au regard de tout ce qui se mijote autour de sa nationalité. Pour Kigali et son président Paul Kagame, le dossier Ntaganda relève désormais de la compétence des Etats-Unis, de la RDC et de la CPI. Pendant ce temps, la RDC n'a formulé aucune demande d'extradition de cet ex-général des FARDC malgré les multiples griefs portés contre lui. Congolais ou Rwandais ? La nationalité de Bosco Ntaganda fera avancer ou traîner son transfèrement à la CPI !

Les versions divergent après la reddition de Bosco Ntaganda, général renégat des Forces armées de la RDC (FARDC), à l'ambassade des Etats-Unis à Kigali. Pour le département d'Etat américain, rien ne devait empêcher son transfert à la Cour pénale internationale (CPI). Alors que Ntaganda s'est rendu aux autorités américaines en territoire rwandais, Kigali se précipite à se déclarer «non concerné »dans l'ouverture des procédures en vue du transfèrement de Ntaganda à La Haye.

La ministre rwandaise des Affaires étrangères, Louise Mushikiwabo, a été intransigeante sur le sujet, prétextant que l'affaire Ntaganda relève désormais de la compétence des Etats-Unis qui l'a arrêté, de la RDC dont il serait, selon elle, originaire et de la CPI qui le recherche. N'est-ce pas une belle manière pour le président rwandais, Paul Kagame, de se dédouaner des forfaits commis dans l'Est de la RD Congo, après avoir longtemps couvert des crimes odieux commis par Ntaganda sur le sol congolais, sous sa bénédiction.

Kigali nie désormais tout lien avec Ntaganda. C'est du jamais-vu. Pour autant que le mandat d'arrêt de la CPI qui court contre Ntaganda le présente comme un sujet rwandais. Plusieurs sources le confirment et le présentent comme originaire du Rwanda, né en 1973 des parents rwandais dans la localité de Ruhengeri. Ses débuts dans le maniement des armes, poursuivent les mêmes sources, commencent par l'Armée patriotique rwandaise (APR), qui deviendra plus tard le Rwanda defense forces (RDF), avant de s'engager en 1996 dans les rangs de l'AFDL. Après la chute du président Mobutu en mai 1997, Ntaganda rejoindra l'Ituri où il va exceller à côté de Thomas Lubunga dans des exactions pour lesquelles il est contraint de comparaitre devant la CPI.

Dans les différents corps expéditionnaires largués en RD Congo, Ntaganda a toujours agi sous couvert de Paul Kagame, le maître à penser et donneur d'ordres. Paul Kagame est le responsable hiérarchique de tous ces corps expéditionnaires. Maintenant que l'étau se resserre autour de Ntaganda, Kigali trouve le moment de rejeter son protégé. Une attitude qui révèle le degré de compromission du régime en place à Kigali.

Louise Mushikiwabo a assuré hier mardi à l'AFP ne pas avoir à se mêler de l'éventuel transfert de M. Ntaganda à la CPI, estimant que «cette affaire est entre les Etats-Unis qui détiennent le suspect, la RDC - pays de nationalité du suspect - et la CPI qui recherche le suspect ». Ce qui, pense-t-elle, exclurait son pays de la procédure à engager pour un éventuel transfert de Ntaganda à la CPI.

L'aveu

Les déclarations de Louise Mushikiwabo passent pour un aveu. Ce qui confirme la nette implication du Rwanda dans l'évolution des événements qui ont conduit jusqu'à la reddition de Bosco Ntaganda à l'ambassade américaine au Rwanda. Tout compte fait, le Rwanda ne peut pas se dédouaner de son implication dans tous les actes odieux commis par Ntaganda. Depuis toujours, Ntaganda a opéré sous l'entière protection de Kigali.

Autant que le confirment plusieurs sources, après avoir traversé la frontière, Ntaganda a été pris en charge par le gouvernement rwandais. Les faits sur le terrain attestent superbement cette thèse. Nombre d'observateurs soutiennent que la reddition de Ntaganda à l'ambassade a été planifiée par Kigali. Ayant traversé les frontières avec plus de 700 hommes armés, Ntaganda ne pouvait se balader paisiblement au Rwanda, sans l'œil vigilant des autorités rwandaises. Sa reddition ne tiendrait-elle pas d'une logique ? Mais, laquelle ? C'est là tout le problème. Car Kigali qui a tout planifié, connaît la raison pour laquelle Kigali a rendu Ntaganda aux Américains. Quel est le dividende à tirer ? Et de quelle manière ? Apporter des réponses à ces interrogations, c'est déjà pénétrer le mystère qui entoure cette reddition.

Si Ntaganda s'est rendu aux Américains pour être transféré à la CPI, pourquoi ne l'a-t-il pas fait pendant qu'il se trouvait en terre congolaise, le pays qui a fait de lui général des armées ? Si tel était sa première intention, fallait-il le faire en traversant par le territoire rwandais ? Trop de zones d'ombre persistent derrière cette reddition de Bosco Ntaganda. Les assurances des Etats-Unis ne devaient pas éluder le vrai problème. Quant à son transfèrement à la CPI, rien n'est encore assuré. N'ayant pas ratifié le Traité de Rome créant la CPI, les Etats-Unis n'ont, par principe, aucune obligation de coopérer avec la CPI. Les Etats-Unis ne s'en cachent d'ailleurs pas.

«Nous sommes actuellement en consultations avec un certain nombre de gouvernements, notamment le gouvernement rwandais, pour faciliter sa requête », a déclaré Victoria Nuland, porte-parole du département d'Etat américain, alimentant le doute sur la collaboration de son gouvernement avec la CPI ; une institution dont les Etats-Unis ne cautionnent pas l'existence.

Contrairement aux déclarations de Louise Mushikiwabo, dont le pays n'a rien à voir avec les procédures de transfert de Ntaganda à la CPI, le département d'Etat américain annonce cependant engager des consultations avec un certain nombre de gouvernements, dont celui du Rwanda, avant de se prononcer définitivement sur cette affaire. Où se trouve finalement la vérité ? Le Rwanda et les Etats-Unis ne joueraient-ils pas le même jeu ? C'est le moins que l'on puisse dire.

Tout compte fait, dans l'affaire Ntaganda, la RDC doit élever sa voix pour que justice soit finalement faite, au regard de graves crimes et exactions commis en RDC par ce général renégat et ses semblables recrutés et poussés par Kigali. L'autre pair de manches reste celle des poursuites judiciaires contre les commanditaires.

Encadré

Transfert de Ntaganda à la CPI : les précisions du département d'Etat américain

Lors du briefing du lundi 18 mars 2013, le jour où Ntaganda se rendait à l'ambassade des Etats-Unis au Rwanda, la porte-parole du Département d'État américain, Victoria Nuland, a évoqué les rapports au sujet de son transfert à la CPI. Transcription.

Il y a des informations selon lesquelles l'ancien général congolais d'origine rwandaise, Bosco Ntaganda, s'est rendu à l'ambassade des Etats-Unis à Kigali. Cela est-il vrai ?

Je peux confirmer que Bosco Ntaganda, accusé par la CPI et leader de l'une des factions du M23 est rentré à l'ambassade des Etats-Unis à Kigali. Il a demandé spécifiquement à être transféré à la CPI à La Haye. Nous sommes actuellement en consultations avec un certain nombre de gouvernements, notamment le gouvernement rwandais, pour faciliter sa requête.

Avez-vous été en contact avec le général Ntaganda avant cela ? Je veux dire, pouvez-vous expliquer comment cette situation en est arrivé là, ou bien était-ce une totale surprise pour vous qu'il soit venu à l'ambassade ?
Je ne pense pas que nous ayons été informés à l'avance qu'il planifiait de s'y rendre. Il semble que ce soit quelque chose qui est arrivé ce matin. Et nous nous efforçons de répondre à sa requête.

Avez-vous été en discussion avec ce général ?

A ma connaissance, non.

Et pourquoi a-t-il dit qu'il se rendait aux Etats-Unis -je veux dire, ce n'est pas l'endroit naturel où se rendre, l'ambassade des États-Unis à Kigali. Pourquoi ne s'est-il pas rendu au gouvernement rwandais ou quelqu'un d'autre ? Les Etats-Unis ne sont même pas membres de la CPI ?

Je ne suis pas en position de parler pour lui et expliquer pourquoi il nous a choisis pour faciliter son passage à La Haye. Vraisemblablement, lorsque nous aurons terminé la procédure, il sera en position de parler pour lui-même.

Est-ce votre anticipation, que suivant sa requête, il sera transféré à la CPI ?

Une fois de plus, c'est ce qu'il a demandé. Nous voulons faciliter sa requête. Comme vous le savez, nous soutenons le travail d'enquête de la CPI sur les atrocités commises en République démocratique du Congo, et nous allons continuer de travailler avec la CPI sur cette question.

Il n'y aura aucun obstacle de votre part pour le transférer à la CPI ?

Comme je l'ai dit, nous travaillons à faciliter la requête qu'il a faite.

Une idée du temps que cela pourra prendre ?

Nous travaillons dessus en temps réel. Nous ferons de notre mieux pour vous faire savoir comment les choses avancent.
Le gouvernement de Kinshasa a-t-il demandé qu'il soit transféré sous son autorité ?
A ma connaissance, non.

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